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Textes du compositeur


- Art of Metal

    Entretien avec Alain Billard et Yann Robin par Jean-Pierre Derrien, le 15/04/08

» Les précédentes pièces du cycle Art of Metal étaient-elles déjà liées à Alain Billard et à son instrument ?

Yann Robin : Elles étaient effectivement liées à Alain Billard et à la clarinette contrebasse métal. Je trouve que la clarinette contrebasse en bois a une plus grande inertie, un son plus rond, plus doux. Je la trouve un peu lourde en général. Alain Billard m’a fait découvrir la clarinette contrebasse métal, qu’il utilisait dans deux pièces, Fragments pour un portrait, de Philippe Manoury, et Bird Concerto de Jonathan Harvey. Il m’a montré les sons qu’on pouvait en tirer, la rapidité avec laquelle il pouvait exécuter des traits. C’est un instrument que je ne connaissais pas. Ce que je ne connais pas me donne envie d’aller voir ce qu’on peut en faire. Nous avons discuté, et je lui ai proposé d’écrire un concerto.

» Quelles sont les deux autres œuvres du cycle ?

Y.R. : Art of Metal I est une pièce pour clarinette contrebasse et ensemble de dix-sept musiciens. Nous nous sommes mis d’accord avec Alain sur le projet, nous avons mis environ deux ans à mettre la chose en place avec l’Ensemble Orchestral Contemporain de Daniel Kawka. Ce concerto a été créé en janvier 2007, dirigé par Dominique My ; ensuite, tout s’est enchaîné très vite. A l’issue de ce concerto, je me suis dit qu’à l’Ircam, l’année suivante, je ferais un cycle complet autour de la clarinette contrebasse. Comme il n’y a pas grand chose pour cet instrument, on a décidé d’en profiter, de développer un peu la littérature de cet instrument. Alain Billard, pourquoi êtes-vous si engagé dans un tel projet de soliste ?

A.B. : Au sein de l’Ensemble intercontemporain, mon poste est celui de clarinette basse solo pouvant jouer de la clarinette contrebasse. Mon prédécesseur, Guy Arnaud, jouait de la clarinette contrebasse aussi, mais dans les œuvres d’ensemble. Je trouvais cet instrument très difficile, parce qu’on ne nous l’apprend pas au conservatoire, c’est un instrument oublié de la famille des clarinettes. Mais quand un compositeur me fait une telle proposition, j’accepte forcément le défis… comme je l’avais fait précédemment pour Mit Ausdruck de Bruno Mantovani.

» Quelles sont les premières œuvres avec clarinette contrebasse ?

A.B. : Je pense que c’est Schönberg, dans ses Cinq pièces op. 16, en 1909. La quatrième clarinette joue de la clarinette contrebasse. C’est un instrument qui a été beaucoup utilisé dans les orchestres d’harmonie pour donner un ambitus plus large au pupitre de clarinette. C’est pour ça que j’ai voulu le remettre au goût du jour. J’ai rencontré Yann, bien-sûr, mais aussi Elliott Carter qui l’avait utilisé dans Asko Concerto. Dans son opéra Le Balcon, Peter Eötvös a aussi écrit une partie de clarinette contrebasse, qui met l’instrumentiste en valeur sur le plateau.

» Alors, contrebasse certes, mais contrebasse métal.

A.B. : La contrebasse métal est la première qui ait existé. Plus tard, la manufacture instrumentale Selmer a fait cette contrebasse en bois parce que le son n’était pas assez proche de la clarinette. C’est vrai que le métal donne plus de timbre, ça se rapproche un peu du saxophone, sauf que ça n’en est pas du tout un, la perce est cylindrique, ce qui a forcément une incidence sur le timbre. Cela veut-il dire que dans un pupitre de clarinettes, si on joue tout le spectre, la clarinette contrebasse métal sera toujours un peu au-dessus des autres ? A.B. : Elle sera déjà beaucoup plus puissante, mais elle sera aussi beaucoup plus riche au niveau des partiels, parce qu’ils sortent beaucoup plus facilement sur un millimètre et demi de métal que sur trois millimètres et demi de bois. La grande différence, c’est que le bois met plus de temps à vibrer, mais a un son beaucoup plus « chaleureux ». Or cette pièce est autour du métal. On a même poussé le jeu très loin puisque j’ai fait faire des becs en métal sur mesure, pour que ce soit du métal de bout en bout. On a même essayé de faire une anche en métal, mais c’est comme une lame de rasoir !

» Une fois posée l’idée concertante, dans votre première pièce, y a-t-il eu, dans le choix de l’ensemble accompagnateur, des évitements de tessitures, de familles d’instruments, ou bien utilisez-vous tout le spectre ?

Y.R. : Ça dépend des mouvements. Mon désir, en projetant les deux premières pièces, c’était qu’on soit submergé dès l’introduction par une masse sonore extrêmement puissante, une saturation de l’espace sonore, et que la clarinette jaillisse de cet espace-là. Après cette introduction, je traite la clarinette de différentes manières. L’ensemble va émaner de ce qui se passe acoustiquement avec la clarinette, entrer en conflit, évoluer dans une zone spectrale à l’opposé de la clarinette. Il y a aussi toute une section au cours de laquelle les deux clarinettistes basse de l’ensemble jouent, et on ne sait plus qui est qui. Les sons de l’électronique de Art of Metal II sont issus de la clarinette, ou s’agit-il de sons de synthèse ? Y.R. : il n’y a pas de synthèse, c’est du traitement en temps réel. Si Alain ne joue pas, il ne se passe rien. Tout est paramétré pour que les sons sortent lorsqu’il joue, sauf un court passage que je n’ai pas réussi à traiter en temps réel. Il y a deux ou trois fichiers-sons, ce qu’on appelle des « temps différés », et Alain déclenche les sons de ces fichiers avec une pédale sur scène.

» Art of Metal III réutilise-t-elle du matériau d’Art of Metal I, des procédures de Art of Metal II ? En gros, y a-t-il là, pour parler comme un de vos maîtres, Berio, un « Chemin » ?

Y.R : J’ai commencé par un Chemin, j’ai fait une Sequenza ensuite, et je fais un deuxième Chemin pour terminer. Pour moi, les trois pièces sont entièrement liées. Il y a des idées énoncées dans Art of Metal I qui n’ont pas forcément été développées mais juste ébauchées, et qui le sont dans Art of Metal II. Et il y a dans le deuxième des annonces qui vont être développées ensuite dans le troisième. Pour une compréhension globale, l’idéal serait d’écouter les trois. Mais pour donner les trois œuvres dans une même soirée, le marathonien que j’ai à côté de moi devrait beaucoup s’entraîner physiquement…

» Quel est le travail d’Alain pour passer des deux premières pièces à la troisième ?

A.B. : le travail est surtout complémentaire. La première fois que tu joues une pièce soliste pour un instrument qui n’a jamais vécu cette expérience, la première question c’est : comment vais-je ressortir de l’ensemble ?

» N’est-ce pas le travail du chef ?

A.B. : Pas seulement. Il y a effectivement un travail d’équilibre, de conception, on doit se mettre dans la peau d’un soliste, donc changer radicalement de façon de travailler, développer le son. Le fait de travailler cet instrument un peu plus en profondeur m’a permis de le faire évoluer. Entre Art of Metal I et Art of Metal II, cet équilibre entre un ensemble et de l’électronique, c’est un travail assez proche, sauf qu’il y a un chef dans un cas et pas dans l’autre. Avec l’électronique, je suis le générateur du son. À partir du moment où je donne un son, s’il est petit et pauvre, l’électronique sera petite et pauvre. Tandis que si je donne un son ample, large, grave, avec spectre étendu… Nous avons rencontré quelques problèmes au départ, mais l’ingénieur du son est là pour l’équilibre entre le son générateur et le son transformé.

» Avant de « tomber » dans la musique contemporaine, vous veniez du jazz. Comment êtres-vous arrivé là ?

Y.R. : J’ai exercé le métier de pianiste de jazz pendant à peu près huit ans. J’enseignais aussi le piano jazz pendant un temps. Il y avait un plaisir du jeu, un plaisir de la rencontre musicale. Il y avait aussi une dimension « performance » de jeu, performance physique, une dimension presque sportive, sexuelle quand on développe un chorus avec d’autres musiciens, mais ça ne me suffisait pas : cette chose-là me sert beaucoup aujourd’hui dans ma musique.

Jean-Pierre Derrien Extrait d’Accents n° 35 – avril-juillet 2008

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