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Textes du compositeur


- Yann Robin ou le plaisir de l'imaginaire sonore

    Entretiens avec Jean-Claire Vançon

» Comment t'est venu le désir d'être compositeur ?

J'ai suivi un parcours très atypique. J'ai commencé, en 1982-1983, par travailler l'orgue électronique, via une formation grâce à laquelle je pus très rapidement jouer des morceaux sans connaître le solfège. Mais je poursuivais dans le même temps un rêve de compositeur : dès l'âge de dix ans, je m'amusais à tracer des portées sur de grandes feuilles blanches, avant d'y écrire des notes. L'orgue m'ouvrit alors une première porte : avec un vaste catalogue de sons à disposition, j'y ai, à ma manière, découvert les sonorités de l' « orchestre ». Je m'étais en outre acheté le Traité d'harmonie de Dubois, et je composais de petits morceaux. L'un deux me permit d'accéder à la finale mondiale du concours « Electone Festival », organisée à Kyoto par Yamaha. J'avais dix-huit ans ; j'ai ensuite totalement rejeté l'orgue. Avoir pris un cour de piano jazz avec un ami m'avait en effet fait prendre conscience de l'ampleur de mes lacunes – en matière, notamment, de rythmes, de mesure et de tempo. Tout est alors allé très vite : je suis rentré en 1994 dans la classe de jazz du Conservatoire de Marseille, animée par Guy Longnon. J'ai également rapidement commencé à enseigner (pour des raisons surtout alimentaires), et à jouer dans les clubs – je l'ai fait pendant huit ans, de grands festivals en bars à bière. Mais je ne projetais mon avenir ni dans cette musique, ni dans ces pratiques. Or je n'avais jamais cessé d'écrire ; et je dois à Georges Bœuf, professeur de composition au Conservatoire de Marseille, de m'avoir poussé à assumer cette vocation. Je lui avais présenté un ballet assez ravélien sur Dracula, composé à l'âge de dix-sept ans. Il l'a lu, et m'a affirmé : « Tu es compositeur. » Je suis rentré dans sa classe (j'avais vingt-six ans), avant qu'il ne m'incite à poursuivre au C.N.S.M. de Paris. J'ai suivi le conseil, intégrant les classes de Frédéric Durieux (composition) et Michaël Levinas (analyse). Et je suis aujourd'hui le plus heureux des hommes.

» Improviser, composer… deux gestes créateurs dont on dit parfois qu'ils ne s'enseignent pas

Dans La Partition intérieure , Jacques Siron propose cinq types de dialogue entre le Maître et l'Elève ; deux me conviennent parfaitement. Le premier insiste sur l'impossibilité d'enseigner l'improvisation ; l'autre, sur l'importance du plaisir festif, jouissif, du jeu. Car si j'ai commencé à travailler le jazz sur partitions, j'ai rapidement compris que le meilleur moyen d'apprendre, c'était de faire, de jouer, d'échanger. Les cours d'improvisation ne peuvent t'offrir que des clés, du vocabulaire, un bagage technique. Il existe de même des techniques de composition – à commencer par la connaissance des instruments et de leur agencement. Aux C.N.R. de Marseille et de Paris, j'ai aussi travaillé l'harmonie et le contrepoint, qui m'ont permis de développer une oreille intérieure. Mais dans certains styles seulement : si j'ai beaucoup de respect et d'admiration pour les étudiants en écriture, ils ne maîtrisent jamais que les styles des autres. Or un compositeur, c'est autre chose. C'est un homme dont l'imaginaire est suffisamment singulier pour ne pas en faire un clone de ses pairs ou de ses ancêtres. Un bon professeur de composition doit être capable de comprendre cet imaginaire, d'y rentrer sans critiques, avant de guider ton propre parcours au sein de cet univers : il regarde avec tes yeux. Georges Bœuf, Frédéric Durieux ou Michaël Levinas sont de ces hommes-là. « Joue », dit le professeur d'improvisation de Siron ; « imagine », pourrait, à son imitation, inviter le professeur de composition. Pas de méprise, cependant : si j'ai longtemps cru à la nécessité d'être anti-institutionnel pour être artiste, je suis aujourd'hui persuadé qu'il n'y a pas de liberté sans contrainte. Quand j'étudiais l'orgue, personne ne m'a dit ce qui n'allait pas ; je n'avais aucune base solide. Or plus on est ignorant, moins on s'en rend compte. Ne pas l'être est évidemment plus insécure, plus vertigineux ; on arpente un chemin en spirale, où le but s'éloigne à mesure qu'on s'avance vers lui.

» Du « jeu » à l'« imaginaire », en quoi ce passé de pianiste de jazz trouve-t-il écho dans ta démarche de compositeur ?

Avoir été improvisateur m'aide, je crois, à écrire plus vite : être sur une scène sans rien d'autre qu'un standard et une grille désinhibe énormément. Convaincu par ailleurs que l'on n'entend réellement que ce que l'on a pratiqué, j'aime à naviguer entre la table et le piano, avec le risque toutefois d'être conditionné par l'instrument et les réflexes qui s'y attachent. Mes idées ne naissent pas pour autant de l'improvisation. Mais celle-ci me permet de les éprouver, suivant l'élaboration là où mes doigts me mènent, où mon oreille mène mes doigts. C'est une improvisation de recherche : je m'arrête, je reprends, hors tempo, sans aucun cycle. Il est par ailleurs dans l'improvisation une spontanéité, une fraîcheur que je m'attache à retrouver dans l'écriture. Le jeu de l'instrumentiste doit être pour lui la source d'un plaisir charnel : que la partition soit « orgasmique », dans une trajectoire traversée d'explosions, où l'être se libère, exulte et finit l'œuvre, épuisé et heureux. Le geste instrumental est d'une beauté unique à laquelle je tiens – j'envisage d'ailleurs difficilement de n'écrire que pour électronique.

» Pourquoi alors écrire plutôt qu'improviser ?

J'ai essayé un temps de mener de front mes activités de jazzman et de compositeur ; c'était impossible. J'avais besoin de temps pour trouver mon langage, rencontrer mes pairs, m'immobiliser dans la création. L'improvisation te surprend parfois en état de grâce ; la composition permet de s'y arrêter. Penser un son, l'aider à vivre (seul ou avec d'autres objets) – construire, en somme – est à la fois très jouissif et très ludique. Ca m'est un besoin, que le jazz, dans la dimension éphémère de l'improvisation, ne pouvait assouvir. Car je ne crois pas à l'inspiration spontanée. Sans nécessairement se mettre à la table, composer impose de s'immerger dans un univers, qui t'accompagne au quotidien : c'est alors, dans cette conscience d'une chose à faire, présente, pensée, dans l'attention à ce qu'elle provoque dans ton imaginaire, que se trouve ou non ce que j'appelle l'inspiration. Etre compositeur oblige à une forme d'introspection permanente. C'est une chance et un luxe : celui de vivre avec ses rêves, de construire des histoires intérieures, de les réaliser avec des sons – un peu comme un enfant. Il y a quelque chose de divin dans cette construction d'un tout à partir de rien.

» Composer, c'est construire ?

C'est une manière de travailler le temps. Si j'osais la gageure d'une définition de la musique, je dirais qu'elle n'est rien d'autre que le devenir d'un son dans le temps… ce son permettant, selon sa nature, d'appréhender le temps différemment. L'improvisateur, c'est le compositeur d'un instant. Or j'aime cette idée d'instant, qu'il s'agit de saisir puis de fixer – d'où mon goût pour les peintres impressionnistes. Elaborer cet instant permettra ensuite de lui donner un avenir (ou l'enrichir d'un passé) : il y gagne la valeur d'un présent (qui, seul, n'existe pas), et contribue à faire émerger la conscience d'un temps, qui ne se mesure que quand il passe, et ne se saisit que de manière relative.
Comprise comme celle des rapports de temps, la perception temporelle y est fonction du rythme, conjonction de deux événements ayant suffisamment en commun pour pouvoir être mis en relation – des rapports que Phigures proportionnent en vertu du nombre d'or. Si l'on distingue les arts dynamiques (littérature, musique, cinéma) des arts statiques (peinture, sculpture), j'ai volontairement choisi un art empreint de directionnalité, instituant un rapport de temps entre les événements. Cela aurait pu être le cinéma, si l'on n'y subissait l'image : le réalisateur impose ses plans, ses visages, ses gestes etc. La littérature offre simplement un texte : l'imaginaire va être sollicité, qui va façonner le profil physique du personnages, son environnement. Mais la musique est probablement le plus abstrait des arts dynamiques.

» Musique, cinéma, littérature… le temps d'une œuvre musicale serait donc celui d'un récit ?

Mes formes sont en effet plus souvent dictées par une idée poétique que par un matériau (qui, cependant, les infléchissent) ; et j'aime à appuyer mon imaginaire sur un scénario narratif, où un personnage sera instrumentiste, motif, ou toute forme d'identité déterminée. Cette idée poétique donne une direction à ma pièce, et restreint mes libertés : sans elle, je trouve la création plus insécure, plus stressante. Les Histoires parallèles, pour 15 instrumentistes, narrent ainsi l'histoire d'un personnage qui, incarné par le cor anglais, se rend à une soirée. Il est un peu en retard. Il s'approche de la maison des hôtes : il entend de plus en plus de bruit. Il ouvre la porte : il arrive dans une grande salle pleine de convives, où il est un peu perdu. En son absence, des groupes se sont déjà formés, dont les discussions respectives se superposent en polyphonie : un dialogue mouvementé dans un coin (clarinette basse et contrebasson), trois personnes engagées dans une conversation plate et inintéressante (cor, trompette et trombone), quatre individus sur la même longueur d'onde (les cordes), cinq autres plongés dans une forme d'élucubration abstraite (flûte, percussions 1 et 2, harpe et piano). Au milieu de la salle, une caméra : elle balaye l'ensemble (instant [t]), avant de « zoomer » sur chacun des quatre groupes pour en suivre la discussion. Entre chaque zoom, elle reprend sa focale panoramique… et ce faisant, revient chaque fois à l'instant (t) de départ, au gré d'un « retour rapide en arrière ». Chaque zoom répond ainsi à la question : « Que s'est-il passé pendant ce temps-là ? » Subitement, une rixe éclate (percussions) : tout le monde se tait, fait cercle autour de l'altercation, avant de reprendre sa place, quant s'achève la lutte. Le cor anglais rentre alors chez lui, toujours seul.

» Par ces effets de retour rapide, le « temps de l'histoire » (celui des événements racontés) diverge du « temps du récit » (celui du discours qui raconte)

Absolument. J'aime travailler des temps paradoxaux, bouleversant la directionnalité du temps quotidien ou, de manière assez proustienne, la relation de proportionnalité entre la durée temporelle de l'œuvre et la longueur du discours. Me passionne d'abord tout ce qui offre de regarder le même objet sous des jours différents : je pense à La Plaisanterie de Kundera, au Dracula de Bram Stoker, à Sound and Fury de Faulkner, aux peintres cubistes ou aux toiles de Morandi. Mon attachement au dernier Quatuor de Jonathan Harvey tient en outre beaucoup au fait qu'il élabore, en cinq cycles, une forme de temps au-delà de l'échelle de la vie. Hymnen de Stockhausen installe de même une écoute oublieuse des deux heures de temps que dure la pièce : rien ne me reste de cette pièce hors la formidable expérience d'un « hors temps ».

» J'entends aussi, dans ces jeux de déplacement, d'observation multi-focale, autre chose qu'une pensée du temps : une pensée de l'espace

C'est très juste. A l'adolescence, j'étais fou de Metallica, d'Anthrax ou d'Iron Maiden pour la puissance massive de leur musique – j'y reste d'ailleurs très attaché. Quand je conçois une œuvre aujourd'hui, je la pense en terme d'espaces, de plans successifs, de volumes, de lignes, de couleurs, avant de la traduire en ambitus, textures, timbres ou dynamiques ; mon écoute est identique, qui s'attache aux timbres, aux énergies, aux plans et à leur articulation. On pourrait modéliser cette approche spatio-temporelle dans un repère en trois dimensions :<:P>

    » Hauteurs
    » Dynamiques
    » Temps

Je construis souvent ces volumes de manière symétrique en partant d'un champ harmonique, souvent palindromique, articulé autour d'un centre, et traversé d'axes secondaires comme autant de points de repère. Ce champ donne lieu à un accord, un motif, conférant à la pièce son unité génétique, ensuite déclinée de manières diverses (permutation, arborescence, variation développante, transposition, renversable, rétrograde, renversable-rétrograde etc.) : il s'agit une fois encore de regarder un même objet sous des angles différents.

» Geste, temps, récit, mouvement, espace… envisages-tu de t'essayer à l'opéra ou au théâtre musical ?

Je travaille actuellement à Cinq Microludes pour saxophone et électronique en temps réel, appelés à porter les évolutions de cinq danseurs, au gré d'un chorégraphie impliquant également le saxophoniste – où le mouvement sonore est assimilé à un mouvement corporel. Quant à l'opéra, il me fascine. Mais je ne me vois pas aujourd'hui me confronter au genre, car je n'ai pas résolu la question du texte. Je n'ai, de la musique vocale, qu'une écoute purement sonore : effaçant le texte (ou l'abstrayant en phonèmes), elle s'attache d'abord aux timbres. James Hetfield me fascine par sa voix : ce qu'il dit ne m'intéresse pas.

» " Musique, devenir d'un son dans le temps ", définissais-tu. Comment articuler cette dimension temporelle à cette approche plastique ?

Le volume, c'est le son, que je pense d'abord, comme Xenakis, de manière globale, à une échelle macroscopique ensuite déclinée dans le détail. L'électroacoustique, en te déprenant de l'écriture traditionnelle, autorise ce rapport très concret, très direct avec le son : tu le tiens dans tes mains, le manipules, le malaxes comme une argile, comme Nicolas de Staël travaille l'épaisseur de la matière. Ou comme Stockhausen qui, quoiqu'élaborant une pensée très structurée, n'en compose pas moins pour et par le son – celui, spectaculaire et grandiose, de Mixtur ou de Mikrophonie. En permettant de déplacer le son, de le maîtriser, l'électronique construit alors un espace en trois dimensions, où les sons t'entourent – un espace naturel, en ce qu'il s'avère finalement proche de celui qui structure notre quotidien. Ma pièce Chaostika, pour percussions et électronique, a été conçue dans ce sens, où la dimension spatiale, mise au service d'une pensée du rythme, de la pulsation et de la puissance sonore, engage une relation très physique avec le son, qui alors traverse littéralement le corps.

» Une approche du son qui n'a donc rien de paramétrique

Absolument. Le son est un tout que je ne saurais dissocier en paramètres. Pense à John Coltrane, McCoy Tiner et Elvin Jones : si leur rencontre est d'exception, c'est qu'ils incarnent, ensemble, ce qu'est l'énergie, la magie d'une cohésion mélodico-harmonico-rythmique. Ce fut d'ailleurs le talent de Miles Davis de faire en sorte que les bonnes personnes s'unissent au bon moment.

» … ce que tu aimes faire aussi, et que tu as voulu mettre en œuvre avec l'ensemble Multilatérale ! Peux-tu détailler la genèse et les ambitions de cette aventure ?

Tout a commencé en novembre 2004, quand la chef d'orchestre Kanako Abe vint me souffler l'idée d'un ensemble consacré aux musiques d'aujourd'hui. Intéressé, j'en soumis le projet à deux amis compositeurs – Gilles Schuemacher et Matthew Lima qui, en construisant le site web de Multilaterale, en posera la première pierre. En concertation avec Kanako et Gilles, l'ensemble s'est ensuite constitué avec l'envie de réunir des musiciens compétents, dynamiques, passionnés par les musiques d'aujourd'hui, et prêts à se fondre dans un collectif (solistes de l'Intercontemporain, de l'Orchestre de Paris, professeurs du C.N.S.M., de l'Ecole Normale de Musique, étudiants en perfectionnement au Conservatoire etc.). La nécessité d'en confier la gestion à une administratrice s'est en outre rapidement fait sentir. Nous avons posé une annonce à l'intention des étudiants en D.E.S.S. « Gestion de la musique » à la Sorbonne ; le choix de Gaëlle Potet s'est imposé comme une évidence. Pour réaliser tous les projets électroacoustiques, j'ai alors proposé à David Jisse un partenariat de Multilaterale avec La Muse en Circuit (où j'avais été en résidence) : il a accepté, attiré par la folie de l'entreprise. Celle-ci voulait en outre répondre à une ambition double, à la fois concentrée sur la création et la pédagogie (interventions en milieu scolaire, en Université et en Conservatoire). David Hudry, étudiant en composition au Conservatoire, et professeur de musique en collège, avait un pied dans chaque branche ; pour l'épauler dans la voie pédagogique, j'ai alors pensé à toi, et Gilles à Yves Balmer. Tout était là. Que l'ensemble participe au week-end « Futurs composés » à l'Opéra-Comique (18 septembre 2005) l'a définitivement porté sur les fonts baptismaux. Et les critiques, excellentes, ont catalysé l'afflux des propositions.

» Multilaterale se définit comme un « collectif de musiciens pour une musique d'aujourd'hui » ; mais qu'est-ce qu'une « musique d'aujourd'hui » ?

Une musique « de son temps ». Certains artistes, comme Thelonious Monk, sont intemporels : il est de son temps quelque soit le temps considéré. D'autres ont su évoluer, se renouveler en étant à l'écoute des moyens de leur temps. Miles Davis démarre en 1943, aux côtés de Charlie Parker ; dans les années 1980, il fait du jazz-rock. Il est de son temps dans des temps différents. Par le développement et la mondialisation des réseaux de communication, notre aujourd'hui est celui d'une époque où tout est facilement et rapidement à portée de main. Ma ville de Marseille, notre pays, sont des lieux très cosmopolites, tissés de manières de vivre, de cultures, de philosophies, d'identités sonores très différentes. J'ai découvert récemment la musique de Fausto Romitelli, qui m'a totalement séduit – notamment son opéra vidéo, Index of Metal. On entend des cordes ; puis surgit une voix, qui se transforme en guitare électrique ; entre un piano, qui se métamorphose en un son inouï. C'est une musique de synthèse, qui abolit les frontières entre des univers a priori cloisonnés : il y a là, à mon sens, une forme de modernité. J'ai moi-même tendance à me penser comme un filtre : j'ingère, je digère ou non, je crée – le jazz ne s'est lui-même historiquement constitué que dans le métissage. Mais je ne cherche pas à tout comprendre des musiques qui m'entourent ; j'ai peur que cela inhibe mon imaginaire. Je tente simplement de capter certaines choses, comme un fleuve passe sur un caillou, et lui soustrait certains de ses sels. Encore faut-il que cette hybridation parvienne à constituer un tout potentiellement neuf, un contexte dans lequel même un accord de Do Majeur pourra apparaître extrêmement moderne. Dans Les Nègres de Levinas, j'entends parfois du Verdi ; mais les modalités de présence de ce fantôme, la manière dont il s'articule à l'ensemble, le timbre ne sont aucunement verdiens. Pas de « musique d'aujourd'hui » sans ambition pionnière, dans le défrichage d'un territoire qui nous semble vierge, quitte à buter dans une impasse.

» Et comment vois-tu l'avenir de ton propre « aujourd'hui »?

Sur le plan collectif de Multilaterale, tout est possible. On avance dans l'inconnu, mais chacun y apporte sa pierre. Des concerts s'organisent, des projets de festival se préparent, à Paris comme au Chili. Sur le plan individuel, j'ai pu l'an passé arrêter d'enseigner le piano jazz ; ce fut pour moi une grande libération. A trente et un ans, je suis considéré comme un jeune compositeur – quoiqu'un peu plus âgé que ceux de mes collègues ayant suivi une voie plus « classique ». Chaque pièce est le lieu d'aboutissement d'une voie, et constitue les étapes d'élaboration de ce qui, peut-être, sera un jour une œuvre. Mais celle-ci n'est pas encore. Rien n'est stabilisé, rien n'est acquis. Le travail de création se présente à moi comme un parcours initiatique sans fin. Avec un seul désir de permanence : celui de conserver, toute ma vie, le plaisir d'écrire, de partager, et de construire.

Propos recueillis par Jean-Claire Vançon - Paris, août-septembre 2005

© 2014-2015 - Yann Robin & Gilles Pouëssel